Money lover • Abriel

Torrent, déversant sur les rives sablonneuses son sombre lagon, détruisant tout sur son passage.
Au loin, ils prenaient la fuite. Ils avaient peur de se noyer dans son écume, de se faire assaillir par ses larmes pourtant si rares.
Il se sentait défaillir, sous sa houle, il emportait mainte vie. Cette abeille. Cette souris. Puis cette cigogne. Typhon, incapable de restreindre ses pulsions. Comme un oracle, il cherchait dans leur douleur un avenir heureux, mais ses sanglots retenus embuaient son regard.

“ Maman, pourquoi tu me fuis ? Pardon papa. Je n’ai pas fait exprès. Je ne voulais pas. Je le jure.”

Il tentait de s’accrocher, alors qu’avec force les flots l’emportaient. Les requins, avides, le déchiquetaient jusqu’à la moelle, mais déjà ses mains étaient couvertes de sang. Du sien. De celui de ces innocentes bêtes qui avaient fait les frais de sa colère, de sa curiosité. Elles semblaient si fragiles entre ses doigts. Elles se brisaient sur les digues de sa conscience éreintée.
Ses déferlantes n’atteignaient plus personne. Ils avaient fui, le laissant seul face à ses démons. Face à sa solitude. Alors il avait compris. Il avait compris que la tendresse n’était pas pour lui et qu’à présent délaissé il était son unique guide. Il ne résistait plus aux flots et se laissait porter par l’ivresse et les relents des marrés, comme un nuage toxique, le faisait délirer. Il se sentait fondre. Liquide parmi liquide. Déchet dans la crasse des bas fonds, lui a qui on avait promis un avenir radieux.
Alors, violemment, dérivant au gré des tempêtes, il se cognait aux rochers. Aucun rivage à l’horizon. Il avait beau chercher de ses yeux gonflés par le sel, tendre les bras pour s’accrocher ne serait-ce que pour faire une pause sur les berges rocailleuses, mais chaque fois que ses doigts tremblants s'accrochaient désespérément, des éboulements le faisaient lâcher prise.
Jusqu’au jour où, fatigué, il se laissa doucement couler. Ainsi coupé du monde, il lui semblait découvrir une beauté encore inconnue. Seul le bruit incessant et doux de l’eau calme. Loin de la surface, tout semblait si beau, pourtant si froid. Puis elle était venue briser le calme de sa chute. Les yeux mi-clos, il se sentit tiré à la surface. Il se sentit quitter l’eau, alors qu’une voile d’un rouge carmin obstruait sa vue. Elle offrait une chaleur réconfortante à ses pupilles depuis trop longtemps habituées au bleu aquatique. Ce petit bateau, ballotté par les vagues, il l’attendait. Alors, souriant à présent au soleil perçant les nuages sombres des cyclones, il se mit à rire.
Ce petit bateau, il le chérissait. Il l’avait sauvé et il s’était juré de le protéger à son tour. Des coups de ceinture, des effluves toxiques, des mains salies par le temps. Il avait créé un oasis de paix où doucement voguait son voilier.
Pas même les tempêtes ne pouvaient l’atteindre, mais lui, créature des fonds marins, sirène tentatrice, il avait dû s’éloigner pour empêcher sa voile de dériver vers lui. Cependant, il n’était jamais loin, toujours à guider le petit bateau à travers les flots.