Les cauchemars, encore et encore. Son visage souriant, qui apparaît dans ses rêves, ses lèvres rouges qui s’étirent en un sourire confiant, ses mains fines qui se tendent vers lui. Autour d’eux, des ombres effrayantes, et comme toujours, les ténèbres finissent par l’emporter, par l’emmener loin de lui. Et quand il se réveille, en sueur, les yeux écarquillés, tout ce qu’il voit c’est qu’elle n’est pas là, et c’est à ce moment là que son coeur se serre terriblement.
Elle n’est plus là. Cela fait des années.
C’est la solitude qui le ronge, Noah, désormais. Se réveiller seul le matin, avoir juste le temps d’entendre sa fille claquer la porte alors qu’elle part à l’école, se lever et se préparer pour le travail. Aller bosser. Revenir à la maison, le soir. Merle enfermée dans sa chambre, il entend quelques notes de musique, parfois il l’entend même chanter un peu. La cuisine est vide, le salon aussi. D’une propreté affolante. Se poser devant la télévision, la regarder sans vraiment se concentrer dessus. Penser à elle, encore et encore. Il se souvient de tous les détails, et en même temps comment aurait-il pu oublier ? Il se souvient de la façon dont ses yeux brillaient de milles étoiles dès qu’elle souriait, de ses gestes enthousiastes, de cette manie qu’elle avait de parler avec ses mains, du tapotement répétitif de ses pieds qu’elle faisait lorsqu’elle perdait patience. Il entendrait presque sa voix l’appeler, douce et enjouée. Parfois il l’entend. Comme une réminiscence, un fantôme qui l’accompagne. Parfois il jure qu’elle est près de lui, qu’elle veille. Pourquoi ne le ferait-elle pas ? Il tentait de se persuader qu’elle était là. Pour braver la dépression, pour éloigner la solitude.
Le pire, c’était très certainement le silence.
Intenable.
Mais le silence, la solitude, c’est ce qui attire les mauvaises pensées… Celles qui l’auraient bien poussé à tout lâcher, à abandonner Merle qui semblait se débrouiller très bien sans lui, à juste partir. Partir loin, ou bien cesser d’exister, tout simplement.
Mais, non. Noah savait. Il savait bien, qu’il devait tenir, qu’il devait élever leur fille coûte que coûte. Pour elle. Parce que c’est ce qu’elle aurait voulu.
Parfois il la maudissait. Il la maudissait d’être partie si vite. De l’avoir abandonné, là, comme ça. Mais ces moments de rancœur ne duraient jamais bien longtemps et c’était finalement des vagues de culpabilité qui assaillaient son coeur.
Et puis, il se souvenait… De comment ils s’étaient rencontrés. De comment ils en étaient arrivés à s’aimer, à sortir ensembles, à vivre ensembles même. À se marier, tôt parce qu’on sait jamais, parce qu’on sait pas ce qui se passera demain. Quand elle est tombée enceinte, quand ils ont décidé de choisir le prénom de leur enfant. Noah savait. Au fond de lui. Que tout ne se passerait pas aussi bien qu’ils le voudraient. Noah avait toujours eu cette faculté à savoir quand quelque chose allait mal se passer. À savoir à quel moment Merle allait s’étaler par terre quand elle commençait à grimper partout, quand elle était plus petite. À savoir à quel moment précisément le chat de sa fille allait décider d’envoyer les verres posés sur la table par terre. Son don ne l’avait même pas surpris, en vérité. Noah était simplement habitué à sentir son coeur se serrer alors qu’il avait un mauvais pressentiment. Il était habitué à prévoir les choses. Il se souvenait de la première fois que son don s’était manifesté. Le cri strident qu’il avait poussé lui avait glacé le sang. Il se souvenait du regard choqué que les autres membres du cercle lui avait adressé, et du petit “
mais c’est scientifiquement possible de lâcher un cri pareil ?” qu’avait chuchoté Rhéa.
Noah chérissait ses souvenirs. Leur précision, à quel point il se souvenait de chaque sensation, des odeurs, de ses sentiments à ce moment là.
Elle était belle. Il l’observait, sans savoir quoi dire, avec juste un sourire un peu idiot sur le visage. Leurs doigts étaient liés, elle agitait doucement les bras, peut être un peu nerveusement. Peut être qu’ils avaient l’air idiots, debout au milieu du trottoir comme ça, illuminés par les lampadaires, ignorant la fine bruine qui leur trempait peu à peu le corps, à juste se sourire. Noah n’avait réellement jamais ressenti pareil bonheur. Juste la regarder, c’était… époustouflant. Il l’aimait, et elle l’aimait. Simplement.Ils s’étaient rencontrés au lycée. Ils ne se parlaient pas vraiment, Noah venait d’arriver de son pays natal, et il parlait à peine anglais. Il s’était rapidement fait des amis, néanmoins. Quant à elle, elle était de ceux qui restaient dans leur coin, qui venait en cours simplement pour apprendre, pas pour se faire des amis. Elle disait ne pas avoir le temps pour ça. Le masque qu’elle portait, celui d’une fille indifférente et froide, il ne lui allait pas. Oh, elle se sentait seule. Mais elle ne voulait pas s’attacher, se faire des amis, leur montrer ses faiblesses.
Il ne sait plus trop pourquoi ils avaient commencé à se parler en premier lieu.
Mais ils le sentaient, tous les deux. Que quelque chose se passait, alors qu’ils discutaient de tout et de rien. Peut être que c’était le destin qui se mettait en marche.
i believe in destiny
Dès lors, ils ne s’étaient plus quittés. Il ne se passait pas un jour sans qu’ils ne se parlent, en vérité. Après le lycée, aussi. Ils restaient ensembles. Noah continuait ses études, tant bien que mal, mais elle avait décidé de se mettre à travailler. Ils s’étaient promis, bientôt ils s’en iraient. Ils partiraient loin, parce que de toutes façons les parents étaient vraiment trop cons, et qu’ils étaient jeunes, qu’ils avaient toute la vie devant eux. Et quand ils le pourraient, ils vivraient. Ils vivraient à fond. Et qu’importe ce qu’il se passerait dans leurs vies, tant qu’ils restaient ensembles. Tout se passerait bien, s’ils étaient l’un avec l’autre. Ils s’étaient promis.
Mais désormais, Noah était seul.
Il n’y avait plus grand chose à dire, à présent.
Elle lui manquait, terriblement.
Sans elle, il était perdu.